Aventures d’un pilote dans le nord

Publié le par Hubert Mansion

 

 

Alors qu’il se dirigeait vers Chibougamau, l’avion de Raymond s’arrête en plein vol. Il aperçoit un lac gelé pour atterrir, et s’y pose sans difficulté.

Il fait moins 40.  Raymond se rend compte qu’il n’a dans son avion aucun des équipements réglementaires de survie : ni sac de couchage, ni ration de survie, ni raquette. Au bout du lac isolé en pleine forêt , se trouve une cabane à moitié finie à laquelle il manque encore les portes et les fenêtres, mais qui possède au moins des murs et un toit. Il s’y installe pour passer la nuit.  Sans chauffage, bien sûr, et avec pour seule nourriture quelques morceaux de chocolat. Et la neige à boire.

Il y restera 15 jours. «J’avais appris au Labrador, me dit-il, l’importance des petits feux. On allume quelques brindilles et on se réchauffe. C’est ce qui m’a sauvé. Si j’avais pensé à couper du bois à la hache, je me serais épuisé et j’en serais mort.»

Dans la cabane, il trouve une paire de bottes qu’il cloue sur deux planches en guise de raquettes; une marmite qui lui sert de foyer quelques minutes avant de s’endormir, et de l’étoupe. Pour le reste, il ne consommera que de la solitude et du silence.

-Pas un moment, je n’ai désespéré, me dit-il. Il fallait survivre. Mais j’ai un peu perdu la raison.

Enfin, il entend un jour un avion tourner autour du lac. Il est sauvé. Sa préoccupation immédiate consiste à  trouver quelque chose à lui dire, car il a perdu l’habitude de la parole. Il prépare sa phrase :  « I am happy to see you ».

Son sauveteur arrive lentement et, lui tendant une main sortie d’un gant chaud :

-I am happy to see you !

Merde ! Il lui a piqué sa phrase…Raymond ne sait plus quoi dire.

Le plus étrange de l’affaire arrive : ce sauveteur ne songe ni à lui proposer à manger ou à boire, ni à le conduire à l’hôpital. Il se contente de le laisser à Saint-Félicien, en pleine rue.  Raymond, qui en rêve depuis 15 jours, va prendre un rhum ‘n coke puis entre - pouilleux, noir de suie, squelettique -  dans un hôtel pour y dormir. Il n’a même pas faim. On lui dit que la salle à manger n’ouvrira que dans deux heures : il patiente.

Sortant du froid, c’est la chaleur maintenant qui le blesse, car ses jambes et ses pieds dégèlent. Cet homme était gelé sans s’en rendre compte. On l’hospitalise : ses  membres sont placés dans une sorte de cage emballée de couvertures face à une fenêtre ouverte sur février. Le dégel dure plusieurs jours et provoque de terribles souffrances.

Aujourd’hui, 50 ans plus tard, Raymond ressent encore des douleurs aux talons. Quand il m’ouvre la porte pour que je sorte de chez lui, un vent glacial de – 20 pénètre dans sa légère chemise. Froid, lui ? Jamais plus.

Publié dans 11-Le Nord pur

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