Le plan québécois
Que filme la caméra québécoise? Les «fuckés». Qu’il s’agisse des Bouguons, de Minuit le soir, de Borderline, Au nom de la loi, Les Boys, La vraie histoire des Lavigueur, Les Invasions Barbares, Un homme et son péché et de tant d’autres, on ne voit que le déséquilibre humain sous toutes les coutures, surtout les cicatrices.
Si le plan américain consistait à camper l’être humain jusqu’à la taille, le plan québécois revient à le filmer à quatre pattes, à genoux ou à terre. Épuisé, éjecté, réduit à la plus simple expression de sa souffrance, dans les ténèbres de L’Age des Ténèbres.
Décrire, montrer et filmer tant de souffrances témoigne-t-il de la douleur de ceux qui dirigent les caméras ou de leur clientélisme? Les deux peut-être. Mais il ne s’agit au fond, sous une forme à peine nouvelle, que du vieil inconscient collectif québécois qui ressurgit: l’apologie et la contemplation de l’état de victime.
Le cinéma québécois, en général, déteste les héros ou ne veut pas y croire. Il préfère les perdus, les déchus, les exclus, ceux qui n’ont aucune issue et il se sert de sa caméra comme d’un microscope plutôt que de jumelles. Ce faisant, il donne à ses spectateurs le droit de descendre de plus en plus bas en eux-mêmes plutôt que l’envie de monter de plus en plus haut, d’examiner ses vices plutôt que d’aspirer à ses vertus.
Et en ce sens, la qualité que ne possède pas le cinéma québécois est terrible: il n’a pas d’humanisme. Il a remplacé l’amour par la pitié, comme certains bourgeois autrefois à la sortie de la messe.
Ref. image: scène du film "La petite Aurore" - 1952