LATIN DU QUÉBEC
J’avais évoqué dans Vivre le Québec libre, ce faux mot latin uvalum, autrefois employé dans certaines régions du Québec et désignant le sexe féminin « où va l’homme ». Dans ce cas, la langue populaire, en latinisant une expression, faisait preuve d’une imagination et d’une intelligence étonnantes en formant peut-être ce mot sur base du speculum (que les patientes entendaient peut-être comme spé-cul-homme), par une association d’idée et de son, qui est l’essence de la poésie.
A l’inverse, cette même langue populaire a aussi cherché à trouver un sens à des mots savants incompréhensibles. Ainsi clavicule est devenu clé du cul (d’autant plus étonnant que clavis signifie en effet clé), et diabète la maladie d’Elizabeth. Quand je dis « populaire », je n’entends aucun mépris quelconque, faut-il le dire : j’ai cru longtemps, pour les mêmes raisons, qu’un jour « ouvrable » était un jour ou les portes des magasins restaient ouvertes, alors que le mot vient de operabilis, c’est-à-dire de travail.
Benjamin, un Français de 8 ans immigré au Québec, me parlait, lui, de ses « congelés de Noël » à partir du 20 décembre : il était aussi sûr de la justesse de son expression que les Québécois qui voient dans le mot « caucus » (réunion, conciliabule), à cause de son assonance, une origine latine. En fait, il s’agit d’un mot algonquin passé à la moulinette anglaise : « cau-cau-as-u », « celui qui conseille ». Bien des journalistes, en employant ce terme, croient rappeler l’empire romain et leur culture classique : ils ne font rien d’autre que d’avouer leur pédantisme. Car Cicéron ne parlait pas l’algonquin.